"Qui donc fut Tinuviel ? dit Eriol.
- Ne le sais tu pas ? dit Ausir* ; Tinuviel était la fille de Tinwë Linto.
- Tinwelint", dit Vëannë, mais le premier dit :
"C'est du pareil au même, mais les Elfes de cette maison qui aiment le conte disent bien Tinwë Linto, quique Vairë* affirme que Tinwë seul est son nom correct avant qu'il n'errât dans les forêts.
- Fais silence, Ausir, dit Vëannë, car c'est mon conte et je le raconterai à Eriol. N'ai-je pas vu Gwendeling et Tinuviel une fois de mes propres yeux lorsque je voyageais par le Chemin des Rêves* en des jours depuis longtemps écoulés?
- Comment était la Reine Wendelin (car c'est ainsi que les Elfes la nomment), ô Vëannë, si tu la vis? demanda Ausir.
- Mince à la chevelure très noire, dit Vëannë, et sa peau était blanche et pâle, mais ses yeux brillaient et semblaient profonds, et elle était vétue d'habits vaporeux très beaux et pourtant de noir, sertis de jais et ceints d'argent. Si jamais elle chantait, ou bien si elle dansait, des rêves et des sommeils vous passaient au-dessus de la tête et l'alourdissait. En vérité elle était un esprit des jardins de Lorien* avant même que Kôr* fut batie, et elle arpenta les endroits boisés du monde et des rossignols l'accompagnèrent et souvent chantaient autour d'elle. C'est le chant de ces oiseaux qui frappa les oreilles de Tinwelint, chef de cette tribu des Eldar* qui devinrent par la suite les Solosimpi*, les flûtistes de la côte, comme il allait avec ses compagnons suivant le cheval d'Oromë* depuis Palisor*. Illuvatar* avait placé un germe de musique dans les coeurs de tout ceux de ce clan, à ce qu'en dit Vairë, et elle en fait partie, et il fleurit ensuite très merveilleusement, mais maintenant la chanson des rossignols de Gwendeling fut la musique la plus belle que jamais Tinwelint eût entendue, et il s'écarta un moment, comme il le crût, de cette armée, cherchant dans les sombres forêts d'où elle pouvait venir.
Et on dit que ce ne fut pas durant un moment seulement qu'il prêta oreille, mais de nombreuses années, et son peuple le rechercha vainement, jusqu'a ce qu'enfin ils suivissent Oromë et fussent portés sur Tol Eressëa au loin, et il ne les vit plus jamais. Pourtant après un moment, comme il lui semblait, il découvrit Gwendeling allongée sur un lit de feuilles qui regardait les étoiles au-dessus d'elle et qui écoutait aussi les oiseaux. Maintenant Tinwelint marchant doucement se courba et la contempla, pensant "Voici un être plus beau même que le plus magnifique parmi mon propre peuple" -- Car en vérité Gwendeling n'était ni Elfe ni Femme mais était issue des enfants des Dieux ; et se courbant plus bas pour toucher une tresse de ses cheveux il rompit une brindille de son pied. Alors Gwendeling fut debout et partie en riant doucement, parfois chantant au loin ou dansant toujours juste devant lui, jusqu'a ce que le submergeât un évanouissement de sommeils parfumés et il tomba le visage contre terre sous les arbres et dormit très longtemps.
Maintenant lorsqu'il s'éveilla il ne pensa plus à son peuple (et en vérité c'eut été vain, car cela faisait longtemps maintenant que celui-ci avait atteint Valinor) mais son seul désir était de voir la dame-du-crépuscule ; mais elle n'était pas loin, car elle était restée tout près et avait veillé sur lui. Plus encore sur leur histoire je ne sais rien, ô Eriol, sauf qu'a la fin elle devint son épouse, car Tinwelint et Gwendeling très longtemps en vérité furent roi et reine des Elfes Perdus d'Artanor ou du Pays Au-delà, ou c'est ce qu'on dit ici.
Longtemps, longtemps après, comme tu le sais, Melko* entra avec violence à nouveau dans le monde depuis Valinor, et tous les Eldar, que ce soit ceux qui demeurèrent dans l'obscurité ou qui avaient été perdus durant la marche depuis Palisor ou ces Noldoli* aussi qui firent le voyage de retour dans le monde à sa suite cherchant leur trésor volé (1), tombèrent sous son joug comme esclaves. Pourtant on dit que nombreux furent-ils ceux qui s'échappèrent et errèrent dans les forêts et endroits désolés, et parmi ceux-ci nombre de clans farouches des forêts se rallièrent au Roi Tinwelint. Parmi eux les plus nombreux furent des Ilkorindi -- c'est-à-dire les Eldar qui jamais n'avaient contemplé Valinor ou les Deux Arbres (2) ou n'étaient jamais demeuré à Kôr -- et mysterieux étaient-ils et des créatures étranges, connaissant peu la lumière ou la beauté ou les musiques hormis de sombres chansons et des chants d'une beauté rugeuse qui s'évanouissaient dans les lieux boisés ou résonnaient dans de profondes cavernes. Différents en vérité devinrent-ils lorsque le Soleil se leva (3), et en vérité avant cela leur nombre fut mêlé a maints Gnomes érrants, et aux esprits indociles de l'armée de Lorien qui demeuraient dans les cours de Tinwelint, étant la suite de Gwendeling, et ceux-ci n'étaient pas issus des clans des Eldalië.